Contestation des contrats : coexistence des jurisprudences Tarn-et-Garonne et Cayzeele
Auteur : SCP FORTUNET & Associés
Publié le :
03/05/2018
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Dans la décision Val d’Europe Agglomération du 9 février 2018, le Conseil d’Etat fait œuvre de synthèse en conjuguant les jurisprudences Tarn-et-Garonne et Cayzeele, précisant à nouveau les contours du recours du tiers au contrat.
Conseil d’Etat 9 février 2018 Val d’Europe Agglomération Le contexte jurisprudentiel
Bien qu’il soit difficile pour les afficionados du droit privé de l’envisager, le contrat n’est pas l’apanage des civilistes mais demeure un outil originel, puis délaissé, et de nouveau au centre de l’intérêt de la sphère administrativiste.
Progressivement, le regain d’intérêt contractuel a forcé les lignes des prérogatives du juge administratif, qui s’avère au fil du flux jurisprudentiel, devenir un véritable Juge du contrat.
L’office du juge administratif s’est considérablement développé, pas à pas puisqu’il ne faut jamais brusquer la juridiction administrative qui affectionne ses habitudes plus que personne.
De la jurisprudence Martin (CE, 4 août 1905, Martin, p. 749) où le juge reconnaissait la possibilité pour un tiers de former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre des actes détachables d’un contrat, à la jurisprudence Société Tropic travaux signalisation (CE, ass., 16 juillet 2007, Société Tropic travaux signalisation, n°291545), bien du temps s’est écoulé pour s’approprier davantage la convention.
L’arrêt Cayzeele (CE, ass, 10 juillet 1996, Cayzeele, p. 274) remettait toutefois de l’ordre dans les esprits les plus extravagants imaginant d’ores et déjà close la question du recours du tiers au contrat en précisant que le recours pour excès de pouvoir dirigé contre les clauses réglementaires d’un contrat demeurait recevable.
La jurisprudence Société Tropic travaux signalisation a d’ailleurs, sans qu’il soit possible d’en douter, opéré un virage jurisprudentiel fondamental en permettant à tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif de former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses qui en sont divisibles.
Il aura fallu attendre encore sept ans après la jurisprudence Société Tropic travaux signalisation pour que le juge administratif complète sensiblement l’avancée opérée et que la jurisprudence Tarn-et-Garonne (CE Ass, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n°358994) voit le jour.
Dans sa décision du 4 avril 2014, le Conseil d’Etat ouvre à tous les tiers justifiant d’un intérêt, lésé par un contrat administratif, la possibilité de contester sa validité devant le juge du contrat, via un recours de plein contentieux.
S’il s’agit de l’enterrement de la jurisprudence Martin, on peine à s’en émouvoir tant la décision avait vécue et surtout tant le bonheur est grand de voir le travail jurisprudentiel engagé se poursuivre harmonieusement.
Mais il s’agissait par la même de l’avènement du doute en la matière : qu’en est-il de la jurisprudence Ville de Lisieux ? (CE, section, 30 octobre 1998, Ville de Lisieux, n°149663).
Le recours pour excès de pouvoir des tiers au contrat est-il devenu un vieux recours démodé ? Le juge administratif, toujours très économe en prise de position brusque, répond aux différentes questions au compte-goutte en usant de sa méthode perlée bien plus ancienne que ne l’était feu l’arrêt Martin. La solution du 9 février 2018, nouvelle œuvre de « synthèse » ?
Dans sa décision Val d’Europe Agglomération du 9 février 2018, le Conseil d’Etat doit traiter le litige suivant :
L’Etat a conclu un contrat avec la société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF). La communauté d’agglomération Val d’Europe, tiers au contrat, demande alors au premier ministre d’abroger certaines annexes du cahier des charges de la convention.
Le premier ministre rejetant implicitement la demande, la communauté d’agglomération Val d’Europe introduit un recours en excès de pouvoir contre la décision implicite de refus d’abroger les annexes litigieuses.
Le Conseil d’Etat rappelle dans un premier temps « qu’indépendamment du recours de pleine juridiction dont disposent les tiers à un contrat administratif pour en contester la validité, un tiers à un contrat est recevable à demander, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l’annulation des clauses réglementaires contenues dans un contrat administratif ».
Autrement dit, si la jurisprudence Tarn-et-Garonne ouvre le recours de plein contentieux à tous tiers lésés, la décision Cayzeele demeure et le recours pour excès de pouvoir reste une option sous certaines conditions.
Tout dépend alors de la qualification des clauses querellées : si elles sont considérées comme des clauses réglementaires, le recours pour excès de pouvoir est bien ouvert contre le refus implicite du Ministre ; toutefois, s’il ne s’agit pas de clauses réglementaires, on sera en présence d’un recours « classique » ouvrant un délai de recours de deux mois à compter de la publication de la mesure contestée.
De cette question dépend le point de départ du délai de recours.
En conséquence, le Conseil d’Etat donne enfin une définition des clauses réglementaires, indispensable afin de délimiter ce qui relève de l’excès de pouvoir et ce qui revient au recours en contestation de validité du contrat : les stipulations « relatives notamment au régime financier de la concession ou à la réalisation des ouvrages, qu’il s’agisse de leurs caractéristiques, de leur tracé, ou des modalités de cette réalisation, sont dépourvues de caractère réglementaire et revêtent un caractère purement contractuel […] »
Le Conseil d’Etat décide alors que les clauses attaquées par le tiers en ce qu’elles déterminent les conditions de réalisation et d’aménagement d’un échangeur, ne sont pas des clauses réglementaires et conclut tristement que, puisque la mesure querellée n’est ni une décision réglementaire, ni une décision administrative individuelle, elle ne pouvait être contestée par la voie contentieuse au-delà du délai de recours contentieux de droit commun de deux mois à compter de sa publication. La requête est donc tardive.
Le Conseil d’Etat s’est donc saisi volontairement de la question de la coexistence des jurisprudence Cayzeele et Tarn-et-Garonne pour organiser leur cohabitation, précisant une fois encore l’office du juge du contrat.
L’attrait pour le contrat ne cessant de se développer dans le versant administrativiste, les nouveautés sont donc à prévoir, au rythme de la juridiction bien évidemment.
Cet article a été rédigé par Réjane VENEZIA, Docteur en droit public
Cet article n'engage que son auteur.
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